Le portable, outil de prévention cardiovasculaire ? Analyse de l’AHA
Stéphanie Lavaud
Auteurs et déclarations|26 août 2015
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Dallas, Etats-Unis – La santé mobile est en pleine expansion et offre de nouvelles opportunités de prévention notamment dans le domaine cardiovasculaire. Mais comment s’y retrouver dans la jungle des sites, des applis, des outils connectés ? Peut-on les conseiller à ses patients, si oui lesquels et pour quelle efficacité ? Pour répondre à ces questions, l’American Heart Association (AHA) s’est livrée à l’analyse de tous ces outils sur la base de l’Evidence-Based Medicine (EBM) pour conclure au final que « s’ils disposent d’un certain potentiel, les preuves de leur efficacité restent à ce jour encore très limitées ».

Qui doit valider les applis et autres outils de santé mobile ?
Si les autorités de santé, comme la FDA aux Etats-Unis, ont la responsabilité de valider la sécurité et l’efficacité des dispositifs médicaux, il ne leur incombe pas de s’assurer du « bénéfice-risque » des dispositifs de santé mobile (sauf outil de diagnostic), et ce d’autant que ces derniers sont très variés, allant du gadget bien-être jusqu’au véritable « instrument de santé », comme le rappelait le spécialiste de la santé Uwe Diegel. En cette période de prolifération, sauf à être des véritables geek, le médecin et les patients ont du mal à s’y retrouver. C’est pourquoi certaines sociétés savantes, conscientes du potentiel de ces nouveaux outils, ont décidé de se livrer à leur banc d’essai, comme ici, la AHA, avec les outils mobiles de prévention cardiovasculaire, ou de proposer une sélection comme l’Association française d’urologie (AFU) à destination des professionnels et des patients. On peut aussi citer de petites start-up, comme dmd-sante, qui se sont données comme mission d’aider les mobinautes à trouver l’application ou l’objet connecté de santé répondant parfaitement à ses attentes via la réalisation d’évaluations objectives (reposant sur un cahier des charges précis) réalisées par un panel de bénévoles (professionnels de santé inclus).
Revue de la littérature scientifique pour 6 objectifs CV

Aux Etats-Unis, plus de 20% des adultes surveillent leur santé avec un outil technologique.
Aux Etats-Unis, plus de 20% des adultes surveillent leur santé avec un outil technologique, quel qu’il soit, et 1 américain sur 5 possédant un smartphone y a chargé au moins une application santé. Les plus populaires sont celles liées à la pratique de l’exercice, podomètre, enregistrement du rythme cardiaque…Aujourd’hui, chaque téléphone est considéré comme un petit ordinateur de poche. S’y ajoutent les capteurs portables qui transforment le téléphone en une véritable panoplie de check-up. De quoi concurrencer le médecin ou le compléter.

Ces nouveaux outils ne sont d’ailleurs pas vus d'un mauvais œil par les professionnels de santé : « Le fait que les technologies de santé mobile n’aient pas encore été totalement explorées ne signifie qu’ils ne servent à rien » considère Lora E. Burke (professeur d’épidémiologie, Université de Pittsburgh) dans un communiqué de l’AHA [2]. L’auto-surveillance est une des stratégies majeures pour changer de comportement en termes de santé cardiovasculaire. Si une technologie comme une appli smartphone permettant de gérer soi-même son alimentation, son poids, son activité physique améliore les choses, alors adoptez-là ».

Pour ce travail, les auteurs ont passé en revue toute la littérature portant sur santé mobile (applications sur site Internet ou smartphone, SMS, capteurs portables, système de feed-back, coaching à distance, etc) en focalisant sur 6 objectifs connus pour améliorer la santé cardiovasculaire.

Les cibles retenues par l’AHA pour son testing
1) obtenir un poids correct ; 2) arrêter de fumer ; 3) augmenter son activité physique ; 4) contrôler sa glycémie ; 5) gérer sa pression artérielle ; 6) atteindre des taux lipidiques adéquats.
Perte de poids : efficace sur le court terme, quid de la durée ?

Sur 184 références trouvées sur la base du titre, du résumé ou du texte, les chercheurs en ont retenu 14 répondant aux critères définis pour l’étude. L’objectif de perte du poids a été évalué en utilisant de nombreux modes d’intervention : Facebook + SMS vs Facebook seul ; SMS vs site web + forum Internet ; séance de groupes vs séance de groupe + auto-surveillance sur tablette + coaching téléphonique personnalisé, etc.

En résumé, toutes ces publications font apparaître un bénéfice sur la perte de poids en fin d’étude quand l’intervention est renforcée par les outils de santé mobile. Le problème est que ces travaux portent généralement sur des durées courtes (2, 4 voire 6 mois), et que l’effet, soit n’a pas été évalué à plus long terme, soit il ne s’est pas maintenu. Aucune des études menées aux Etats-Unis (10 sur les 14 étudiées) n’a rapporté de résultats positifs au-delà de 9 mois. Seule une étude finlandaise a montré que l’envoi de SMS pouvait entrainer une perte de poids plus importante que l’absence de textos sur une durée allant jusqu’à 12 mois, indiquent les auteurs.

Une méta-analyse – la seule à ce jour sur le sujet – qui a étudié l’utilisation de SMS pour aider à la perte de poids va dans le même sens. Au final, l’agrégation de toutes les pertes de poids (en moyenne) montre un résultat significatif quand on appuie la démarche par des envois de textos.

Les 5 critères de la réussite d’un programme « perte de poids »
Selon une des études du panel, 5 éléments concourent à la réussite d’un programme « perte de poids » sur support technologique : un programme structuré, de l’auto-surveillance, un retour « feed-back » et de la communication, du soutien social, et du « sur-mesure ».
En résumé, les auteurs mentionnent « des preuves d’efficacité fortes sur les bénéfices en termes de perte de poids à court terme chez les adultes grâce à l’utilisation de SMS pour favoriser l’auto-surveillance et de messages « feed-back », en complément à d’autres méthodes (coaching téléphonique, site Internet, groupes de pairs via les médias sociaux) ou incorporé à un programme portant sur des conseils d’hygiène de vie, avec quelques preuves d’un effet pouvant se maintenir jusqu’à 1 an. En revanche, rien ne montre qu’un système isolé d’envoi de SMS apporte un bénéfice, préviennent les auteurs.

Activité physique : une efficacité des programmes en ligne mais peu d’infos sur l’intérêt des trackers

Sur la base des mots-clés, les chercheurs ont trouvé 1490 articles mais n’en ont retenu que 14 dont 9 faisaient appel à Internet, l’une aux e-mails, l’une à un podomètre et 3 aux SMS. Neuf de ces 14 études a rapporté une amélioration significative de l’activité physique dans le groupe d’intervention comparé au groupe contrôle.

Montée en puissance du « videogaming » ou « exergaming »
Ces nouvelles activités ludo-sportives qui favorisent le mouvement par le divertissement en associant exercice physique et activités de jeu vidéo tels que les tapis iDance ou le bowling sur WiFit (prisé en maisons de retraite) n’ont pas été retenues dans cette revue de la littérature mais, selon les auteurs, 3 études qui leur ont été consacrées ont rapporté des améliorations notables et elles méritaient d’être prises en compte à l'avenir.
A noter : il existe aussi tout un tas d’outils type capteurs portables susceptibles de « traquer » l’activité physique, initialement portés à la ceinture, mais désormais placés au poignet, à la cheville, au bras ou dans les chaussures. Sans compter que les smartphones contiennent désormais GPS, accéléromètres et gyromètres. Aucune étude n’a évalué ces nouveaux outils mais les auteurs rapportent néanmoins que la précision de certains d’entre eux (Bodymedia FIT, Fitbit Zip, Jawbone Up) sur la dépense énergétique est tout-à fait correcte – la marge d’erreur n’étant que de 10 à 15% - par comparaison à un analyseur métabolique portable.

Conclusion des auteurs : de nombreuses études montrent que les programmes en ligne boostent l’activité physique. En revanche, on manque de données pour dire si tous les ajouts et les « plus » en termes de capteurs d’activité divers et variés (la plupart sous forme de bracelets connectés) peuvent aider à bouger davantage.

Arrêt du tabac : les SMS doublent les taux d’arrêt, utiles en complément

Les études évaluant l’utilisation des applis pour arrêter de fumer ont fait leur apparition il y a une dizaine d’années, avec une certaine efficacité mais nombre de ces applis ou systèmes mobiles ne s’appuient pas sur des recommandations pratiques validées visant à l’arrêt du tabac. Sur les 286 publications répertoriées, les chercheurs ont retenu 14 essais randomisés et contrôlés et 2 analyses Cochrane. La plupart des études font référence à l’utilisation de SMS, d’abord parce qu’elles datent de l’ère pré-smartphone, ensuite, parce que le système de textos fonctionne sur n’importe quel téléphone et coûte moins cher, enfin parce que les taux de tabagisme sont particulièrement élevés dans les groupes de niveaux socio-économiques les plus bas qui sont ceux qui disposent le moins de smartphones (par rapport à un téléphone portable de base). Dans la mise à jour de Cochrane datant 2012, 5 essais sont inclus, l’un comportant des messages vidéos sur mobile, l’une un coach sur le web et des SMS et 3 ne sont basées que sur les SMS. L'agrégation de ces 5 études montre un "risque" relatif de sevrage tabagique réussi de 1,71. Parmi ces études figure la grande étude britannique de Free et ses collègues où 5800 fumeurs désireux de d’arrêter la cigarette avaient été assignés à recevoir des SMS spécifiquement centré sur le sevrage tabagique (txt2stop) ou sur un tout autre sujet. A 6 mois, sur la base d’une abstinence tabagique vérifiée biochimiquement, le taux d’arrêt avait été de 10,7% avec les SMS spécifiques par rapport au groupe contrôle (4,9%). Re-testée aux Etats-Unis, la méthode txt2stop a retrouvé les mêmes taux de sevrage à 6 mois.

Pour les auteurs, il existe donc des preuves de l’efficacité d’un accompagnement par SMS, avec un impact comparable – doublement du taux d’arrêt – à celui d’autres interventions, y compris l’utilisation de substituts nicotiniques. Néanmoins, la grande hétérogénéité des résultats suggèrent que tous les programmes ne sont pas égaux et que les fumeurs n’y répondent pas de la même façon. Les auteurs concluent donc que les SMS sont plus efficaces en complément à d’autres méthodes de sevrage.

Gestion du diabète, hypertension, cholestérol : outils prometteurs mais insuffisamment testés

Pour le diabète, l’hypertension, le cholestérol, trois facteurs de risque cardiovasculaire bien connus, les applis sur support mobile ne manquent pas. Pour la gestion du diabète, on en compte des milliers aux Etats-Unis dont peu ont été évaluées (<1%), et celles qui ont démontré leur efficacité sont encore moins nombreuses. On distingue principalement les applis qui envoient des SMS via le téléphone portable, les dispositifs médicaux (glucomètres, pompes à insuline) connectés aux applis des smartphones, et le partage bidirectionnel de données entre fournisseurs et patients via les smartphones. En se basant sur les variations d’hémoglobines glyquées, les études font apparaitre un effet modeste mais significatif. Difficile de mettre une technologie en avant car les études font souvent appel à plusieurs d’entre elles et là encore, les durées de suivi sont souvent limitées (8 études sur 12 avaient une durée de suivi < 6 mois et aucune n’allait au-delà de 12 mois), ce qui est peu pour une pathologie chronique.

26% des applications santé téléchargées ne sont utilisées qu’une seule fois et que 74% sont abandonnées à la dixième utilisation.
En ce qui concerne le contrôle de la pression artérielle, l’envoi de e-mails est le principal média étudié. Comme pour le diabète, l’utilisation de différentes modalités, incluant souvent une auto-surveillance, laisse entrevoir une relative efficacité des technologies mobiles sur le contrôle de la pression artérielle. Mais là encore, difficile d’isoler une option plutôt qu’une autre, et les études souvent de courtes durées, la plupart sur 3 mois, ne donnent pas d’informations sur le long terme, ni la persistance dans l’utilisation de la technologie. Les auteurs rappellent à cette occasion qu’une étude a montré que 26% des applications santé téléchargées ne sont utilisées qu’une seule fois et que 74% sont abandonnées à la dixième utilisation.

Sur la gestion de l’hyperlipidémie, les auteurs n’ont trouvé que 3 études de qualité suffisante. Celles qui existent suggèrent une certaine efficacité d’un suivi par les outils mobiles, les auteurs s’étonnent d’ailleurs qu’ils aient été si peu évalués.

En dépit de ce manque flagrant de preuves d’efficacité, les auteurs sont très optimistes quant à la santé mobile et pensent que les utilisateurs ne doivent pas l’abandonner. « N’ignorez pas la possibilité que ces dispositifs et applis puissent aider à préserver votre cœur » affirme le Dr Burke qui considère, par ailleurs, que le médecin est un interlocuteur valable pour aider ses patients à choisir la meilleure technologie [2].

REFERENCES :

Burke LE, Ma J, Azar KMJ, et al. Current Science on Consumer Use of Mobile Health for Cardiovascular Disease: A Scientific Statement from the American Heart Association. Circulation 2015, Aug 13.

AHA. Mobile technology may help people improve health behaviors, communiqué de presse, 13/08/15

 

http://circ.ahajournals.org/content/early/2015/08/13/CIR.0000000000000232.full.pdf

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